Ana, 40 ans, Paris, BRCA

6 mai 2016

Ma mère avait été la première femme que je connaisse à avoir eu un cancer du sein. Elle l’a eu en 1973 à l’âge de 30 ans. Elle est décédée en 1985 à 42 ans après de multiples opérations, traitements, et métastases. Plus tard, deux autres de mes tantes ont suivi, la dernière étant décédée en 2010.

Déjà mère de deux enfants, à 33 ans, j’ai décidé de me prendre en charge. Je me suis adressée à mon médecin de famille qui m’a envoyée à l’Institut Curie pour avoir un entretien avec une généticienne… Elle a manifesté l’intérêt de me faire suivre vu le nombre de cas dans l’arbre généalogique que j’avais élaboré avec des infos fournies par ma grande-mère.

Le test génétique ne pouvait pas être fait sur moi car « n’étant pas une personne déjà malade sur qui pouvoir faire le prélèvement  … ». Seule ma tante qui habitait en Espagne était déjà malade mais je ne pouvais pas la faire venir à Paris. Et vu son caractère peu collaborateur, lui faire prélever son sang pour me l’envoyer à Paris me semblait impensable. Une fois le gène portant la mutation pour ma famille répertorié, il était plus facile de le comparer sur les autres membres de la famille. Et, normalement, lorsque les familles apprennent l’existence dune mutation, elles sont censées informer les autres membres plus éloignés.

J’ai alors été prévenue en 2003, un peu après ma visite à Curie, du fait que ma famille (au sens large du terme) était déjà recensée comme porteuse de ce gêne muté. C’était un cousin de ma mère qui avait prévenu ma tante par téléphone. Lui, a eu un double cancer de sein depuis. J’ai commencé à me faire suivre dans le privé (j’avais trouvé rude, brusque, leur approche du corps, de la nudité, les informations que l’on demande, de ce que l’on montre et à qui à Curie, et, n’étant pas encore malade, je m’étais dit : « je préfère vivre ça autrement pour le moment. Si je n’ai pas le choix je reviendrai peut-être ».

En 2013, j’ai développé la maladie. Je n’avais pas fait d’ablation préventive. En France, on ne me l’avait pas proposée, et même si j’étais suivie tous les six mois je n’ai pas été contente et j’ai toujours changé de médecin. La tumeur était grande -passée inaperçue aux échographies chez le gynéco- mais pas agressive, sans métastase, et seulement au sein droit. Et, là, la question s’est posée… : Me faire une double mastectomie avec reconstruction immédiate. Enfin surtout moi. Une fois le résultat de la biopsie tombé, j’ai posé cette question à un chirurgien cancérologue pendant ma consultation.

Étant espagnole et entourée de personnes qui m’encourageaient à faire une ablation préventive depuis longtemps, parce que ça se pratiquait déjà la-bas (suivant peut-être les américains). Les médecins m’ont parlé du DIEP (technique de greffe de chair et peau de son ventre pour en faire ses seins, avec microchirurgie pour brancher les artères et veines de chaque côté, voir sur internet pour plus d’info). Le fait d’être porteuse de la mutation me rendait automatiquement susceptible de demander une ablation préventive et la Sécurité Sociale acceptait ce cas: je réunissais les conditions nécessaires et suffisantes pour être redevable d’une telle opération.

J’ai dû faire une chimiothérapie d’abord,pendant six mois, avant de me faire opérer. Les traitements, je les ai subits avec beaucoup d’esprit positif, de façon sportive, fatiguée parfois mais pas effondrée. Je ne voudrais pas décourager qui que ce soit… mais les interventions chirurgicales ont été la partie la plus dure. Peut être aussi psychiquement. J’ai dû assister à beaucoup de changements dans mon corps, beaucoup de jours d’hôpital après mon opération, des complications (thromboses puis infection). Je ne sais pas comment cela aurait été sans reconstruction ni double ablation. Pendant une IRM, juste avant de commencer le traitement, ils ont découvert un autre cancer dans l’autres sein, tout petit celui-ci. Alors la double ablation avait encore plus de sens.

Concernant le test. M’a-t-il apporté quelque chose de savoir que j’étais porteuse… ? À cette question je pourrais dire oui et en même temps non. Je m’explique. Je savais que ma mère avait eu un cancer du sein et qu’elle en était morte. Pareil pour mes deux tantes. En même temps, de me sentir intérieurement condamnée à avoir la maladie, je me sentais chanceuse. Je ressentais que, soit à cause des cancers de mes tantes (pas agressifs, lents, successifs, mais négligés par le médecin dans un cas, et par la patiente dans l’autre), soit à cause d’une sorte de bonne étoile que j’imaginais pour moi, je ne serais pas concernée. Même si le cas de ma mère fut exceptionnellement dur, une fois dépassée l’âge de 30 ans, j’aurais plutôt le cancer de mes deux autres tantes. Soit je serais épargnée, soit en faisant bien les choses, je guérirais. Je ferais donc confiance à la chance ou à la médecine. Le test en fait n’a servi qu’à avoir un accès prioritaire et couvert par la sécurité sociale pour l’ablation préventive du deuxième sein. Le suivi régulier, tous les six mois aurait été recommandé, ou pas, par n’importe quel médecin sérieux. Alors même si nous faisons attention à trouver le médecin qui veut bien nous surveiller, ne pas faire le test vous met dans la situation de tant de personnes qui ont eu un membre de leur famille atteint par la même maladie, et qui ne possèdent pas le test qui prouve leur risque. Pour certains c’est mieux ainsi, pour d’autres ce serait libérateur de se savoir non porteurs du gène muté. Personnellement je ne vois pas vraiment un vrai différence, c’est chacun qui peut trouver rassurant ou pas le fait de faire le test.

Vu dans la presse (2013)                       Vu dans la presse (2016)

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